Une menace grandissante pour la nature et ses défenseurs : L’ÉCOLOBASHING
Un dossier rédigé pour Goupil, le magazine de l’ASPAS, et réactualisé ici.
Les menaces de mort envoyées à l’ASPAS et aux défenseurs de la nature, la création de la cellule Déméter, la désinformation, les intimidations, les pressions financières, les procès bâillons, la criminalisation, voire les violences policières : les lobbies et certains politiques se joignent aux exactions des plus extrémistes pour casser l’écologie. Alors que tant de médias nous ont longtemps baladés avec un agribashing qui a bien peu de fondement, d’autres commencent à s’alerter sur la menace grandissante de l’écolobashing.
Dans la Drôme « La Maison de la chouette », siège de l’ASPAS, est un havre de sérénité, à deux pas de la Réserve naturelle des Ramières. Mais si vous regardez bien, vous remarquerez que le portail solide et les murs épais, surmontés par des caméras de surveillance, trahissent la nécessité de protéger les lieux et les personnes. Bien nous en a pris : la manifestation d’intimidation du vendredi 21 août, organisée par des éleveurs et soutenue la fédération des chasseurs, s’est déroulée jusque sous nos fenêtres. Nous nous posons au passage des questions sur la posture du préfet de la Drôme, qui a autorisé une manifestation anti-ASPAS… devant les locaux mêmes de l’ASPAS !
Des violences impunies
Tout est parti en novembre 2013 : grâce à une indiscrétion, nous avions eu connaissance d’une lettre interne de la FNO (Fédération nationale ovine), incitant ses adhérents à jeter des carcasses de brebis dans les locaux des associations. Ceux de la SAPN (Société alpine de protection de la nature), à Gap, venaient d’ailleurs d’être saccagés lors d’une manifestation où des éleveurs de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) des Hautes Alpes et des JA (Jeunes agriculteurs) avaient jeté des tripes de brebis ensanglantées sur la vitrine, terrorisant les bénévoles enfermés dans leur local.
De telles exactions n’étaient ni les premières ni les dernières, comme le saccage du siège de l’Alepe (Association lozérienne pour l’étude et la protection de l’environnement) en 2015. En effet, les menaces de mort haineuses que reçoivent régulièrement les associations de défense des loups ou des ours, et même les gardes[1] et autres représentants de l’État, se traduisent souvent en violences physiques… et presque systématiquement impunies. On se rappelle la séquestration du président et du directeur du parc national de la Vanoise en 2015 par des éleveurs anti-loups. La justice a rendu son verdict en décembre dernier : ne sont condamnés que les… tirs de loups[2].
En février dernier, une centaine d’agriculteurs de la FDSEA ont vandalisé les locaux de France nature environnement Midi-Pyrénées sous le regard passif de la police. Après des années de largage de tonnes de lisier ou de milliers de pneus brûlés, très coûteux pour la société mais restant impunis, ces délinquants n’ont pas de raison de se priver… À l’opposé, des écologistes et même des journalistes faisant leur travail sont vite réprimés, tel Alexandre-Reza Kokabi, de Reporterre, mis en garde à vue le 26 juin pour avoir couvert le blocage de l’aéroport d’Orly par les militants d’Extinction Rébellion. En juin également à Nancy, deux militantes de Greenpeace ont été convoquées pour un stage de citoyenneté car elles avaient milité… contre la pollution de l’air dans leur ville !
Le 2 août dernier à Tende était projeté le film « Marche avec les loups » de Jean-Michel Bertrand, à l’initiative du parc du Mercantour. Bien que ce film cherche à dépassionner le débat, des éleveurs et des chasseurs extrêmement agressifs ont envahi la salle en insultant bruyamment le public[3]. Des enfants effrayés pleuraient, la séance a été annulée… avec la bénédiction du maire de Tende, qui a jeté de l’huile sur le feu en soutenant les manifestants. Les forces de l’ordre ne sont pas intervenues. Une fois de plus, non seulement les violences anti-écologistes ne sont ni réprimées ni condamnées, mais elles se retrouvent validées par des responsables officiels. Aux côtés du réalisateur Jean-Michel Bertrand, le producteur Jean-Pierre Bailly entend porter plainte.
Touche pas à la chasse, sinon…
Il ne fait pas bon critiquer le lobby de la chasse et des armes, l’ASPAS l’a éprouvé depuis ses débuts sans jamais se laisser impressionner : notre fondateur et ex-Président Alain Clément s’est retrouvé avec un fusil pointé sur le ventre, et nos premières Assemblées générales se déroulaient souvent sous protection de gardes du corps. Au col de l’Escrinet, où l’ASPAS dénonçait le massacre des pigeons ramiers, la caravane d’un militant a été poussée un samedi soir dans un ravin. Par chance les bénévoles qui y dormaient étaient absents, mais ils auraient pu y laisser la vie. Conclusion des gendarmes : c’était les freins, ou le mistral… Notre regretté délégué Jean-Philippe Alessandra a reçu des coups de poings par des éleveurs au sein même de la préfecture des Alpes-Maritimes, notre Porte-parole Marc Giraud reçoit insultes et menaces après chaque débat médiatique, et un dossier entier de Goupil ne suffirait pas à tout énumérer[4]. Allain Bougrain Dubourg a reçu sa dose d’œufs pourris et d’insultes lorsqu’il dénonçait le braconnage des tourterelles des bois dans le Médoc, ce qui lui a valu son poste à France 2, et un fameux homme en slip armé d’une pelle nous a encore rappelé récemment le genre de dialogue auquel nous sommes régulièrement confrontés.
Dénonçant les réalités cynégétiques sur les réseaux sociaux, Pierre Rigaux a été menacé jusque chez lui par un individu en tenue de chasse tenant une balle dans les mains, lui annonçant que s’il continuait à parler de la chasse, elle finirait entre ses deux yeux. Ensuite ce furent des coups sur un bord de route, puis un renard mort ensanglanté sur sa voiture, au point que le naturaliste a reçu un tweet de soutien du ministère. Ce qui a fait fulminer le chef d’escadrille des chasseurs… Comme pour tant d’autres défenseurs de la nature, les courriers anonymes succèdent aux menaces de mort sur les réseaux, sans espoir que les plaintes aboutissent alors que ces intimidations, illégales, proviennent souvent de personnes clairement identifiées[5].
Les militants d’AVA (Abolissons la vènerie aujourd’hui), qui ont le courage de suivre les équipages de chasse à courre sur le terrain pour filmer la réalité de ce loisir, subissent eux aussi leur dose de brutalités, comme en témoigne Stan le porte-parole : des agressions physiques ont eu lieu en Picardie, à Rambouillet ou en Bretagne : charges à cheval, coups de fouets, militants même âgés jetés au sol et frappés, etc. Les activistes assurent leur défense par leurs films : entre autres, celui d’une femme maintenue la tête sous l’eau par des veneurs a permis de faire condamner ces derniers. Les chasseurs écopent souvent d’amendes ou de prison (avec sursis) alors qu’aucun militant n’a été condamné. Les membres d’AVA restent dans la légalité, car ils n’empêchent pas la chasse et se contentent d’être des témoins. Mais ça énerve…
En juillet 2018, l’ONF (Office national des forêts) a assigné en justice trois membres d’AVA, réclamant en tout 63 000 € pour « entrave au droit de chasser » en forêt de Compiègne, avec un dossier arbitraire et expéditif. Heureusement, le tribunal correctionnel de Compiègne a rejeté l’ensemble des demandes de l’Office, et a exigé qu’il dédommage les trois anti-chasse de 500 € chacun.
Les anti-nature osent tout, jusqu’à menacer les personnages politiques qui ne vont pas dans leur sens. Le 12 septembre en Meurthe-et-Moselle, la députée Caroline Fiat se voyait entourée par un rassemblement de chasseurs sous des fumigènes, des bruits de pétards et de cors de battue. Sa « faute » à leurs yeux : avoir signé le RIP pour les animaux, initiative légale et démocratique qui a le tort de critiquer la chasse.
Sur le terrain, parmi tant d’autres exactions, une femme de 42 ans à Vernouillet a été menacée de mort le 28 février, et a porté plainte. Bien d’autres agressions ne sont diffusées ni dans des journaux ni dans des réseaux sociaux. Et que dire de cette sombre affaire Élisa Pilarski, cette jeune femme enceinte tuée par un ou des chiens non loin d’une chasse à courre, dont l’administration a fait traîner l’enquête d’une manière si suspecte ?
Le vaillant Willy Schraen, lui, nous joue la poupée qui tousse pour bien moins grave. Le chef des chasseurs se plaint abondamment dans les médias d’être menacé de mort et d’avoir une garde policière, ce à quoi aucun d’entre nous n’a encore eu droit, quelle que soit la gravité de ce que nous subissons nous aussi. Schraen n’a jamais été frappé : il a juste reçu des menaces par messages papier ou virtuels, ce que nous condamnons évidemment, comme nous condamnons toute forme de haine et de violence. Mais la justice s’est montrée nettement plus diligente pour cet homme de pouvoir que pour l’affaire Pilarski : le 24 septembre, le parquet de Saint-Omer a condamné les huit prévenus, dont un avec de la prison ferme.
Pas de subvention, et des procès bâillons
La pression financière et les procès bâillons sont de plus en plus courants. Ainsi, le groupe Bolloré a attaqué le média Bastamag en diffamation pour une enquête sur l’accaparement des terres. Il a fini par être débouté[6], mais non sans avoir fait pression. Ces actions en justice menacent les activistes et les journalistes d’investigation de payer des sommes colossales[7], les obligeant à dépenser une énergie folle pour se défendre, ce qui les empêche d’agir à plus ou moins long terme, voire définitivement. La loi du 30 juillet 2018 sur « la protection du secret des affaires[8] », qui préserve les grosses entreprises contre le regard des curieux, fut un tournant clairement liberticide.
En novembre 2018, le promoteur éolien Valorem a réclamé un million d’euros à diverses associations (LPO Aude, Avenir d’Alet et AIRE) pour avoir fait stopper des installations jugées destructrices, alors qu’elles respectaient le droit français ! Outre ce genre d’intimidation financière, des représentants de l’État dans les régions coupent les subventions des associations de défense de l’environnement pour les offrir aux chasseurs, comme cela s’est fait en région Rhône-Alpes avec Laurent Wauquiez (3 millions en 2018 !) ou dans les Hauts-de-France avec Xavier Bertrand. Résultat : des licenciements, des drames humains, des actions d’intérêt public anéanties, une nature toujours moins protégée.
Les manœuvres d’intimidation sont autant juridiques que financières. La journaliste Inès Léraud enquête sur l’industrie agro-alimentaire en Bretagne. Depuis des années, elle reçoit des plaintes abusives pour diffamation et des pressions financières tenaces[9], mais tenace, elle l’est aussi. Comme un pied-de-nez aux censeurs, son album « Algues vertes, l’histoire interdite », illustré par Pierre Van Hove (La revue dessinée/Delcourt), vient de recevoir le prix 2020 de la BD bretonne.
Suite à sa parodie si réussie de la campagne « Les chasseurs, premiers écologistes de France ? », qui rappelait de façon étayée les réalités de la « gestion cynégétique », la LPO s’est vue assignée en diffamation par la FNC (Fédération nationale des chasseurs). Dommage pour le chef du lobby chasse : le juge l’a convoqué pour lui demander des preuves. Mais l’affaire n’est pas terminée…
La FNC se montre de plus en plus procédurière. L’ASPAS, et plus précisément la Directrice Madline Rubin, a elle aussi été attaquée pour avoir témoigné sur l’affaire des gérants d’un Super U qui effectuaient des safari-chasse en Afrique.
Quand l’État attaque des écologistes
Nous avons du mal à trouver des gardes pour traquer les braconniers, notamment pour les grands prédateurs. Il faut croire que certains responsables préfèrent d’autres cibles : ainsi, Sea Shepherd a été attaquée en justice par plusieurs municipalités pour transport illégal d’espèces protégées, en l’occurrence des cadavres de dauphins exposés en centre-ville : c’est vrai, mais cette loi est destinée à contrer la destruction des animaux, et non à criminaliser ceux qui justement la dénoncent !
Aucun défenseur de l’écologie n’est à l’abri de sanctions, souvent abusives et disproportionnées, y compris les élus. Catherine le Troquier, maire de Valaire dans le Loir-et-Cher, s’était courageusement opposée le 13 septembre 2019 à l’arrêté préfectoral en interdisant la vénerie sous terre des blaireaux, pratique violente contre laquelle l’ASPAS lutte depuis des décennies. Dès le 25 octobre, le tribunal administratif a suspendu son arrêté municipal, jusqu’à ce qu’une audience ait statué sur le fond le 1er juillet. D’autres maires, proches du mouvement des Coquelicots, celui de Langouët en tête, ont été également saisis en justice pour avoir tenté de protéger leurs concitoyens et la nature des épandages de toxiques légaux. L’action la plus dérisoire peut être réprimée : une infirmière, Katia, a été mise en garde à vue parce qu’elle avait… dessiné des coquelicots à la peinture à l’eau devant sa mairie ! Inutile de comparer une telle « dégradation » à des jets de cadavres de brebis ensanglantés, ou au rapt de fonctionnaires…
Les violences policières n’ont pas épargné les écologistes de Notre-Dame des Landes, ni même les journalistes qui couvraient les événements, ce qui a tout recouvert d’un brouillard de lacrymogènes et de désinformation difficile à éclaircir[10]. Entre autres victimes, une journaliste de Reporterre a été blessée alors qu’elle quittait la Zad en octobre 2018 par une grenade GLI-F4, une arme extrêmement dangereuse retirée depuis le 25 janvier. On se souvient aussi du gazage en pleine figure et du matraquage de militants pacifiquement assis sur le pont de Sully, à Paris en juin 2019, pour attirer l’attention sur l’inaction climatique[11]. Certes, cette manifestation d’Extinction Rébellion était interdite, mais cela ne justifie en rien la brutalité de la réaction. D’ailleurs, le droit de manifester frise quelquefois la remise en question, comme cette marche pacifique pour le climat le 8 décembre 2018 à Nancy, interdite pour des raisons discutables. Elle s’est néanmoins déroulée, et sans aucun heurt, mais elle a valu 21 heures de garde à vue pour deux des organisateurs. De même, les anti-corridas subissent de nombreuses violences physiques, y compris par les forces de l’ordre, lors de leurs manifestations pacifiques devant les arènes. Un autre militant pacifique a payé son engagement de sa vie : le jeune botaniste Rémi Fraisse, tué par un gendarme mobile en 2014 au cours d’une manifestation contre un projet de barrage à Sivens[12]. Le 9 janvier dernier à la cour d’appel de Toulouse, sans répondre aux multiples questions soulevées par cette affaire, le procès a abouti à un non-lieu. La famille doit désormais se tourner vers la Cour européenne des Droits de l’homme pour espérer une enquête impartiale.
Les manifestations de rue, déjà fortement impactées par les mesures sanitaires, sont désormais menacées par un méchant machin appelé SNMO (schéma national de maintien de l’ordre) présenté le 17 septembre. Les organisations de défense des droits humains et les journalistes sont vent debout[13]. En effet, pour avoir le droit de couvrir une manifestation, chaque journaliste devra expressément présenter une carte de presse, ce qui jusqu’ici n’a rien d’obligatoire, et que beaucoup de pigistes, de blogueurs et de reporters de médias indépendants ne possèdent pas. Plus l’information et la tolérance régressent[14], plus nous nous éloignons d’une démocratie digne de ce nom.
Lanceurs de tripes contre lanceurs d’alerte
Créée par Christophe Castaner en octobre 2019 sous prétexte « d’agribashing », avec la gendarmerie, l’irréprochable FNSEA et les… JA (les délinquants qui lancent des tripes de brebis !), la cellule Déméter interdit toute tentative de filmer dans des abattoirs, et entend punir jusqu’aux « actions symboliques de dénigrement du monde agricole ». À noter que d’autres acteurs du monde agricole, comme la Confédération paysanne, n’ont pas été intégrés à cette cellule. En criminalisant les activistes du bien-être animal, l’État agit à l’opposé de l’attente de la société sur la question. Les abattoirs se sentent désormais protégés : ainsi, l’entreprise Sobeval avait porté plainte contre L214 pour diffamation, après la diffusion de vidéos pourtant réalisées dans ses locaux en Dordogne. Mais des mails confidentiels du ministère de l’agriculture, arrivés jusqu’à L214, ont changé la donne : ils ont prouvé que le ministre d’alors, Didier Guillaume, était parfaitement au courant des atrocités commises dans cet établissement. Le représentant de l’État a été pris en flagrant délit de mensonge au sujet de sa conformité[15], puis d’agressivité face aux questions d’un journaliste ! Guillaume a dû rattraper cette mauvaise image plus tard, en félicitant L214 de son enquête de juin dernier sur la chaîne ovine du Roquefort. Tout en incitant les Français à continuer de manger des agneaux et du Roquefort…
Le 18 décembre 2019 dans Le Monde, une tribune signée par l’astrophysicien Aurélien Barrau, la juriste Florence Burgat et l’écrivain Jean-Baptiste Del Amo révélaient : « Le gouvernement entend museler les lanceurs d’alerte sur la question animale ». Sous l’impulsion de Romain Espinosa, économiste au CNRS, 130 chercheurs ont signé une lettre ouverte et mis en ligne une pétition contre Déméter, afin de protéger les lanceurs d’alerte[16].
En avril 2020, deux ONG (Générations futures et Pollinis) ont entamé une procédure judiciaire pour faire annuler le partenariat ministère/FNSEA/JA de la cellule Déméter. En février, c’est au tour de 28 organisations de demander la dissolution de la cellule (Fondation Nicolas Hulot, Combat Monsanto, WWF, SNPN, FNE, La Ligue des droits de l’homme…). Le 31 juillet, également soutenue par la Ligue des droits de l’homme, L214 a attaqué elle aussi en justice la convention Déméter.
Mais celle-ci est en marche : des gendarmes cherchent donc les preuves de cet énigmatique agribashing, en questionnant des paysans étonnés de la démarche, s’invitent à des réunions écologistes, fouillent un peu partout et convoquent des militants, histoire d’entretenir un bon petit climat d’inquiétude. Une interpellation d’écologiste est passée moins inaperçue que d’autres, car elle a fait suite à un reportage de FR3 Nouvelle-Aquitaine sur un projet de cultures de tomates hors-sol destructeur de zones humides. En janvier 2020, l’avocat Antoine Gatet témoigne au nom de deux associations (FNE et Sources et Rivières du Limousin). Le 30 mai, après le confinement, il est convoqué pour « violation de domicile », motif ostensiblement absurde (l’interview s’est déroulée hors du périmètre des serres, et il n’y a pas eu de plainte) qui sent un peu fort son Déméter.
Envoyé le 28 août à l’association Ardèche Drôme Défense Animale, ce mail du commissariat de la police nationale de Valence (service départemental du renseignement territorial) a de mauvais parfums de Stasi : « Je dois recenser les structures anti-chasse en Drôme. Quel est, s’il vous plait, l’état d’esprit des militants de votre structure ? Connaissez-vous ou êtes-vous en relation avec d’autres structures anti-chasse ? ». Le préfet de la Drôme, qui a parallèlement autorisé la manifestation anti-ASPAS, s’est vanté publiquement d’être le premier à avoir créé une cellule Déméter. Il se permet désormais de lancer ce genre d’inquisition aux relents de traque au délit d’opinion. Ce délit ne figure évidemment pas dans la loi française, qui défend la liberté d’opinion. De plus, la cellule Déméter parle de protection de la ruralité et non de chasse. Des fichiers semblent se créer sur les écologistes, et leurs avocats s’organisent.
« Madame, je dois recenser les associations anti-chasse en Drôme. Quel est, s’il-vous-plaît, l’état d’esprit des militants de votre structure ? Connaissez-vous ou êtes-vous en relation avec d’autres structures anti-chasse ? » Ce mot aimable, adressé le 28 août dernier au comité Ardèche Drôme Défense Animale, vient directement du Commissariat de police nationale de Valence, Service départemental du renseignement territorial. Qui a commandité une telle investigation ? Sous quel motif ? Pour créer quel genre de fichier ? En principe, la République française protège la liberté d’expression, et il n’existe pas de délit d’opinion. Mais ce genre d’inquisition a de mauvais relents de Stasi.
En Corrèze, la jeune association Faîte et Racines entend lutter contre les coupes rases qui sévissent dans la région. À l’exemple de l’ASPAS, Faîtes et Racines a lancé une collecte pour acheter des espaces afin de les préserver de la rapacité de l’agro-industrie. En 2019, ayant rassemblé 53 505 euros, elle s’apprête à acquérir un petit bijou de biodiversité, quand le vendeur change brusquement d’attitude et stoppe tout. Il vient juste de recevoir la visite de gendarmes en uniforme et d’agents des renseignements territoriaux, qui lui ont affirmé que les acheteurs sont des « zadistes anarchistes écologistes », et qui lui ont « fortement conseillé » de vendre à d’autres[17]. Ce qui est fait, et la forêt est tronçonnée pendant l’été 2020. Encore une attaque à la nature qui sent fort son Déméter…
Ce n’est pas l’arrivée du gouvernement de Jean Castex qui a rassuré les défenseurs de la nature, loin de là. Dans sa préface du livre très médiatisé du chef des chasseurs, Éric Dupond-Moretti insulte violemment les écologistes (« illuminés », « intégristes », « ayatollahs », etc.) avec une déconcertante absence d’arguments. Porté par sa charismatique sinistrose, Dupond-Moretti a longtemps défendu dans les médias ses plaisirs morbides d’oiseaux flingués et de taureaux torturés avant d’être propulsé au pouvoir. Aujourd’hui, le ministre de la Justice se défend de ses insultes écrites en disant faire la différence entre les « bons » et les « mauvais » écologistes : on croirait un sketch… mais on n’y croit pas vraiment, car on n’a « pas beaucoup » (ou pas du tout) vu Dupond-Moretti défendre la cause animale, la biodiversité ou le climat avec la même ferveur. Et vu l’inertie de ce gouvernement en la matière, on pourrait même croire que c’est cette idéologie, où l’homme se permet toutes les brutalités envers l’animal, qui a aidé à sa promotion[18].
Des voix s’élèvent
En complément de nos actions associatives, des réactions à ces multiples abus voient le jour. Le film « Marche avec les loups » a subi des intimidations dès sa sortie, et son réalisateur Jean-Michel Bertrand reçu des menaces de mort dès les premières projections. Des journalistes s’en sont émus, comme Stéphane Foucart (Le Monde, 18 janvier 2020) titrant son article : « Un cinéaste menacé de mort pour son travail ? Sur d’autres sujets que l’environnement, une telle situation aurait déclenché une indignation nationale ». Il récidivait le lendemain avec : « Greenbashing » et « agribashing », pourquoi une telle asymétrie dans le traitement ? ». Le 4 août, c’est la journaliste Angela Bolis qui évoque un climat de plus en plus tendu : « Pressions accrues sur les associations écologistes ».
Dans le Monde toujours, un collectif de juristes comprenant Corine Lepage avait déjà déclaré le 25 juin 2019 : « En France, on assiste à une régression continue du droit de l’environnement ». Ce texte pointait la disparition programmée de la Commission nationale de débat public, la suppression expérimentale des enquêtes publiques dans deux départements, les multiples atteintes à la recevabilité des requêtes, la quasi impossibilité d’obtenir la démolition d’une construction illégale, etc.[19]
Soutenant des intérêts privés, l’État a donc glissé vers la criminalisation des défenseurs de la nature et des animaux. Tous ces signes avant-coureurs d’une répression grandissante contre les militants montrent que nous sommes arrivés à une étape d’hostilité ouverte de la part des lobbies, avec la complicité ostensible du pouvoir. La conscience écologique fait son chemin chez les Français, et ils se sentent menacés. Mais dans une société où la violence se fait de plus en plus présente, cette agressivité officielle provoquera fatalement la colère et la radicalisation de certains : la mèche et la poudre sont déjà installées, une seule étincelle pourrait engendrer l’explosion.
En attendant, les dernières élections municipales ont prouvé une forte demande sociale en matière d’écologie, et montré que le manque de considération pour les animaux, la nature et l’environnement a été sanctionné.
Ne ressemblons pas aux pires
L’ASPAS est radicale, dans le sens noble du terme, mais pas violente. Hélas il faut le constater, quelques individus se pensant défenseurs des animaux ou de la nature se permettent d’insulter des chasseurs, des agriculteurs, des éleveurs ou des bouchers, et tombent dans la haine et la violence que justement nous combattons. En salissant l’image publique des défenseurs, ils nuisent à la crédibilité de tous, et ils desservent la cause animale dans son entièreté. Cela n’élève pas le débat, au contraire : leurs actes alimentent le discours des écolobasheurs, ravis de brandir la menace des « écolos extrémistes » capables de tout. Sans les cautionner, soulignons que ces débordements sont rarissimes comparés à la quantité impressionnante d’exactions des anti-nature, dont nous n’avons pu publier que quelques exemples dans ce dossier.
D’autre part, ne confondons pas des agressions injustifiables avec certaines actions pacifiques et légitimes d’un point de vue de défense des droits des citoyens, mais qui sortent du cadre de la loi. Si elle concerne des enjeux de santé ou de sécurité publiques, la légitimité devient plus forte que la légalité du moment, et la désobéissance civile est souvent le seul levier d’action possible pour faire progresser les droits de la nature et des humains, et fonder des lois plus protectrices de chacun.
Pour conclure, nous savons que notre combat est digne et légitime, nos arguments sont étayés et solides, nous n’avons pas besoin de nous rabaisser au niveau des pires de nos adversaires pour convaincre.
Des médias complices
De nombreux personnages publics portent une lourde responsabilité dans ce climat de tension et d’injustice. Leur haine décomplexée à l’encontre de Greta Thunberg n’a visé que son âge, son sexe ou son physique, ce qui a détourné l’attention des véritables enjeux de l’urgence climatique. Ces postures anti-écologiques sont trop souvent tolérées sans nuance par les médias appartenant à de riches groupes industriels.
Longtemps, le climatosceptique Claude Allègre a été invité sur les plateaux télé les plus prestigieux, ce qui lui a donné l’occasion de semer le doute chez les Français quant à la réalité du réchauffement, alors qu’il n’avait aucune légitimité sur le sujet. Le professeur de philosophie Luc Ferry s’est ouvert la porte des médias et du pouvoir avec son livre « Le nouvel ordre écologique », où il osait faire un parallèle entre les défenseurs des animaux et les nazis dans une piètre connaissance de l’histoire de l’écologie. Ce fut très apprécié. De son côté, l’essayiste Pascal Bruckner (un anti Greta notoire) a brandi la menace d’une écologie mue par la haine des humains, quasiment aussi dangereuse que les terroristes !
Des journalistes comme Géraldine Woessner (Le Point) ou Sylvie Brunel (proche de la FNSEA[20]) s’appuient entre autres sur le malaise paysan pour diffuser un discours pro-pesticides franchement hostile à l’écologie ; d’autres intellectuels focalisent sur les « véganes hystériques » et autres « écologistes extrémistes » en généralisant des exceptions, et en occultant l’essentiel : tous créent une disproportion hallucinante entre leurs petits agacements personnels et l’ampleur des enjeux mondiaux. Ce manque d’objectivité n’a plus de freins : ainsi, l’animateur Pascal Praud a reçu notre amie Claire Nouvian avec une mauvaise foi si arrogante qu’elle a dû quitter son plateau, abasourdie. Il y avait pourtant de vraies infos à révéler : l’association de Claire Nouvian, Bloom, se bat contre la surpêche, et n’échappe pas à l’écolobashing. Le lobby néerlandais de la pêche électrique a diffusé des fake news à son encontre, des insultes et des intimidations qu’il aurait été honnête de faire remonter. Mais là-dessus, Praud s’est tu
Des meurtres presque tous les jours
Si défendre la nature commence à impliquer des risques en France, d’autres pays montrent que des lobbies, des mafias et des États sont carrément prêts à commettre les crimes pour préserver leurs intérêts. Mettre le nez dans leurs affaires est extrêmement dangereux : le 21 août, Reporter sans frontières révélait que 10 journalistes ont été tués en 5 ans[21]. C’est encore pire pour les activistes : en 2019, au moins 212 d’entre eux ont été assassinés pour avoir défendu l'environnement[22], un triste record relevé par l'ONG Global Witness. À elles seules, la Colombie et les Philippines concentrent plus de la moitié de ces meurtres…
60 % des meurtres d’activistes ont lieu en Amérique latine. Fin mars au Brésil, Zezico Guajajara, leader indigène de la lutte contre la déforestation, est tué par balles. Cela fait partie d’une série d’assassinats accentuée depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en octobre 2018. Autre exemple : en janvier 2019, La militante Rosane Santiago Sulveira est retrouvée chez elle attachée sur une chaise, torturée et achevée à coups de couteau. Ces meurtres et bien d’autres sont hélas « épaulés » par la pandémie de Covid-19, qui décime les Amérindiens.
Le 29 janvier dernier au Mexique, le corps de l’écologiste Homero Gomez, grand défenseur des papillons monarques, est retrouvé au fond d’un puits. Il a reçu des coups, et sa mort est très suspecte. Deux jours plus tard, c’est au tour d’un guide touristique, Raul Hernandez, lui aussi visiblement torturé avant d’être tué. Dans un pays où 14 homicides de militants de l’environnement avaient eu lieu en 2018 d’après l’ONG Global Witness, cela n’est pas surprenant. Le déboisement et la culture intensive de l’avocat rapportent beaucoup d’argent, les pressions financières se font plus puissantes que les amis des insectes…
Au Honduras, l’une des figures de la défense de la nature et de la justice sociale, Berta Caceres (lauréate 2015 du prix Goldmann pour l’environnement) a été abattue chez elle le 3 mars 2016. Elle n’était pas la première : entre 2010 et 2014, plus d’une centaine s’assassinats avaient déjà concerné des opposants à des barrages, des projets miniers et agricoles. Et la liste funeste s’allonge chaque année.
Si le syndicaliste Chico Mendes, abattu en 1988, est un emblème des martyrs de l’écologie au Brésil, pour l’Afrique Dian Fossey (tuée en 1985) est l’une des plus connues avec Georges Adamson (assassiné en 1983 après sa femme Joy en 1980), car des films ont été tirés de leur vie. Mais ce ne furent pas les seuls… En 2016 en Tanzanie, le pilote Roger Gower est abattu par des braconniers aux commandes de son hélicoptère lors d’un vol de reconnaissance. L’année suivante, c’est Wayne Lotter, sauveur d’éléphants et moteur de la lutte contre le braconnage, qui est assassiné dans un taxi. Chaque mois en Afrique, des gardes anonymes et courageux sont tués par des braconniers prêts à tout pour de l’argent.
En Asie, Bruno Manser le défenseur des Penan, peuple indigène de la forêt malaisienne, est déclaré mort en 2005 après des années de traque et de menaces. Un film sur sa vie : « Bruno Manser et la forêt tropicale » est sorti en décembre 2019. Là aussi, c’est une figure emblématique qui ne doit pas faire oublier les autres meurtres : à notre connaissance, ce sont plus de 200 activistes qui sont tués chaque année dans le monde (207 recensés en 2017, dont 57 au Brésil), ce qui ne compte pas les dizaines d’indigènes anonymes ou de chefs coutumiers éliminés dans le secret des forêts.
Nul besoin d’aller loin pour se heurter à de telles violences. En Europe, et plus précisément en Roumanie, la mafia du bois assassine régulièrement les garde-forestiers et les activistes, comme Liviu Pop, un militant héroïque. Des manifestations ont eu lieu à Bucarest et dans plusieurs villes d’Europe contre la destruction de la forêt des Carpates. C’est l’une des plus belles des forêts primaires d’Europe, inexorablement saccagée par une mafia criminelle incontrôlée : selon Greenpeace, entre 3 et 9 hectares sont détruits chaque heure.
La main qui tue obéit à un commanditaire, souvent un personnage haut placé, riche et corrompu, appartenant parfois au pouvoir en place. L’impunité étant la règle, seules de vastes révoltes populaires largement médiatisées pourraient inverser cette logique sanglante.
Marc Giraud
[1] Les personnes chargées de constater les dégâts des grands prédateurs subissent insultes et violences de la part de certains éleveurs. En juillet 2019, après l’incendie d’un de leurs véhicules dans les Pyrénées, les agents de l’ONCFS ont décidé de ne plus assurer les constats de dégâts des ours. Les médias dominants parlent volontiers de la détresse des éleveurs, mais ignorent celle des agents de l’État.
[2] Les bergers qui travaillent dignement, sans haine et dans le respect de la vie sauvage, ça existe pourtant. Mais les anti-nature ne les supportent pas et les agressent. Ainsi, Alex Soulé qui avait été interviewé dans Télérama en 2016 sur la beauté de son métier de berger, avait osé émettre des critiques sur la chasse au sanglier dans le Haut-Languedoc. En représailles, son ânesse et son ânon ont été tués.
[3] Lire au sujet des anti-loups ce texte édifiant : https://blogs.mediapart.fr/farid-benhammou/blog/270820/loup-et-ours-en-france-detresse-ou-decredibilisation-des-eleveurs?fbclid=IwAR28DDDAd63U625y6FqxR1_xX8w-1PeTrtBe1OLGYllW7cOA6FuyzLgGBmE
[4] Il y aurait beaucoup à dire par exemple sur la violence que subissent les protecteurs des requins à La Réunion, où tout argument rationnel est occulté des médias locaux et méprisé des autorités. Voir https://www.protection-requins.org
[5] Sur Facebook un groupe privé de délation : « Signalement des profils fb antis chasses », a souvent été signalé, mais jamais interdit.
[6] https://www.bastamag.net/Plainte-en-diffamation-Bollore-perd-son-proces-contre-Bastamag
[7] Voir l’édito du 21 juin 2020 du site des JNE (Journalistes/écrivains pour la nature et l’écologie) https://jne-asso.org/blogjne/2020/06/21/et-si-on-parlait-de-lecolobashing/
[10] Le journaliste Hervé Kempf a dû démissionner de ses fonctions au journal Le Monde car ses enquêtes sur Notre-Dame des Landes étaient censurées. Il a ensuite lancé son journal en ligne et indépendant, Reporterre.
[11] En février 2020, 1000 scientifiques ont lancé une nouvelle alerte sur le climat. Obligées de constater la nécessité d’une rébellion, ces personnes très sérieuses incitent carrément à la désobéissance civile.
[12] Tué par une grenade OF-F1 également retirée depuis ce drame, mais d’autres modèles encore utilisés, comme la GM2L restent controversés.
[13] https://www.scam.fr/detail/ArticleId/6591
[15] Cet abattoir de veaux a été fermé, puis immédiatement rouvert après le largage d’une tonne de lisier devant la préfecture de Périgueux par des éleveurs, mais aussi sous pression financière. Sobeval fournit l’industrie du luxe en peaux, comme Hermès, qui consomme beaucoup de cuir. Business is business.
[18] http://luce-lapin-et-copains.com/2020/09/04/khmers-verts-presumes-coupables/
[19] Voir aussi https://reporterre.net/Le-gouvernement-demolit-le-droit-de-l-environnement?fbclid=IwAR1shZTkGmW0oq8gk5RzdTni__LN2SXcMuJu_S0dP1osuT0ENqDFoB9pYn0
[20] Visiblement anti-loup, S. Brunel s’est montrée très agressive envers Jean-Michel Bertrand au cours de l’émission 28 minutes (Arte), qui présentait « Marche avec les loups ». JMB lui a répondu avec beaucoup de calme qu’il n’avait rien contre les bergers, qu’il fréquente depuis toujours et qu’il estime, rompant le supposé clivage avec brio.
[22] https://www.facebook.com/brutnatureFR/videos/1249014145433434/